L’homme qui plantait des okras… Au Canada !
Portrait de l’agriculteur urbain Hamidou Maiga, par Stéphanie Gendron

Entouré d’un tipi d’épinards de Malabar à sa droite, d’un plant d’arachides à sa gauche et d’aubergines africaines sur la table devant lui, Hamidou Maiga pique la curiosité des participants à la Fêtes des récoltes, à Verdun. Dans la serre du Grand Potager qui se trouve derrière lui, plusieurs autres plantes et légumes exotiques poussent sous un ciel qui n’est habituellement pas le leur.
Une femme se présente et lui demande s’il a du calalou. Hamidou lui montre fièrement sa dernière récolte d’okras, le nom plus commun pour ce légume, aussi appelé gombo, qui est consommé dans plusieurs régions tropicales. Son interlocutrice est si étonnée de découvrir que ce calalou rouge est cultivé au Québec qu’Hamidou doit casser le légume en deux et lui montrer l’intérieur pour la convaincre que c’est bien ce qu’elle cherche.

Une scène qui représente bien le défi que doit encore relever l’agriculteur urbain qui s’est lancé, il y a 5 ans, dans ce qu’il appelle la culture de légumes ethniques. «Un légume ethnique, c’est une plante qui entre dans la culture culinaire d’un pays du monde autre que le Québec ou le Canada. Il faut toujours faire ce lien là entre la possibilité, ou la facilité, de la cultiver et le besoin des communautés. On est arrivés à avoir une bonne production de certaines plantes, mais le marché n’est pas prêt. Je devrais plutôt dire qu’on n’a pas encore rencontré la communauté intéressée par ces plantes-là.»
Mais ce n’est rien pour décourager ce comptable de formation qui, depuis longtemps, aime faire pousser des plantes là où on ne les attend pas. Dans son Niger natal, il cultivait des fraises sur les terres familiales. Il aurait pu utiliser cette expertise lorsqu’il est arrivé au Québec, en 2008, mais il a choisi de continuer à défier le climat.
« Les choses réputées difficiles à faire pousser, ça m’intéressait déjà à l’époque, comme les fraises. Arrivé ici, c’était l’idée de trouver pour moi et ma famille les légumes que j’utilisais pour cuisiner. Pendant mes études à l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, chacun devait trouver son créneau, et moi, je me suis intéressé aux légumes rares, dont la culture n’est pas développée ici. La réaction de tout le monde a été super positive. Mes professeurs y ont vu une niche d’avenir. Ils m’ont parlé de l’exemple de l’Ontario, où c’est beaucoup plus avancé et où l’on trouve dans les épiceries des sections de légumes ethniques. »

En attendant que de telles sections voient le jour au Québec, Hamidou multiplie les initiatives pour développer son entreprise. Il vend les récoltes produites sur les parcelles de terres qu’il loue à Senneville et à l’Île-Bizard dans différents marchés. Les légumes ethniques sont très présents, mais il offre aussi des fines herbes, de l’ail et des melons.
Il approvisionne aussi quelques restaurants, dont le Virunga. La cheffe exécutive, Maria-José De Frias, explique que cet accès à des légumes cueillis le jour même ou presque est très précieux. «En Afrique, on n’a pas la culture de congélation. On mange des aliments frais. Dans la vie quotidienne, les mamans vont au marché tous les jours. J’ai du mal à utiliser des produits surgelés. Les légumes d’Hamidou me permettent de vraiment partager avec les gens d’ici ce qu’on mange en Afrique». Bien sûr, elle importe le manioc, le plantain et l’igname qui constituent la base de sa cuisine. Mais lorsqu’elle ne peut plus compter sur les gombos, aubergines et épinards d’Hamidou, elle préfère modifier sa carte.
Et ce moment est arrivé. Les premiers gels ont mis fin au travail dans les champs. Hamidou se concentre donc sur d’autres volets de sa pratique, comme la production de semences qui peuvent déjà être commandées en ligne.
«On a beaucoup travaillé pour avoir une belle proposition de semences cette année. On avait des okras verts, maintenant, on a aussi des rouges. On a aussi des bissaps rouges et verts qui s’ajoutent aux arachides, aux aubergines et au baobab.»
Oui, oui, les baobabs peuvent pousser au Québec! À l’intérieur, bien sûr. C’est un autre champ d’expertise qu’Hamidou a développé et qui l’occupe présentement. Il offre aux pouces verts en quête d’originalité des semences ou des plantes en pots exotiques.
«Comme le baobab tolère bien l’adversité et qu’il a une croissance lente, les gens l’utilisent surtout comme bonsaïs. Et avoir un baobab, peut-être à cause du Petit Prince, généralement, ça le fait. Les gens ont quelque chose à raconter», explique-t-il, le regard rieur. «On a beaucoup d’autres plantes comme celles-là qui piquent la curiosité et qui sont très belles comme le coton ou le bissap. On va partir une nouvelle fournée. Les gens peuvent les précommander maintenant et suivre l’évolution de leur plante pendant les prochains mois. Nous, ça nous permet de diriger notre production et les quantités qu’on produit.»

De nouvelles variétés vont s’ajouter au fil des saisons. Hamidou poursuit constamment ses recherches, tant dans les serres du Grand Potager que sur son lot, à Senneville, pour améliorer et diversifier son offre de plantes et de légumes. Il recueille une quantité impressionnante d’informations sur le calendrier de croissance, la productivité, la terre, l’arrosage, le contrôle des insectes ravageurs. Cette année, le sorgho, une céréale qui ressemble un peu au maïs, et de nouvelles variétés d’aubergines africaines ont montré des résultats prometteurs. Hamidou est aussi très satisfait de sa récolte de giraumons, une courge que les Haïtiens utilisent pour préparer la «soupe de l’indépendance». Et il travaille fort pour réussir à faire grimper les plants de cucamelon, ces légumes en forme de minis melons d’eau au goût de concombre, qui sont trop difficiles à ramasser lorsqu’ils rampent au sol.
Toutes les connaissances et l’expertise qu’il a acquises au cours des dernières années à propos des légumes ethniques font aussi partie de son fonds de commerce. Hamidou espère pouvoir en tirer de plus en plus profit.
«Je crois beaucoup à la formation pour stabiliser mon entreprise. Il y a une population immigrante qui augmente et qui est intéressée par les légumes ethniques. Le besoin est là et on est loin, loin de l’avoir comblé. Si on peut former des gens qui vont produire ces légumes plus proche de leur communauté, plus proche de leur ruelle, plus proche de leur quartier, de leur région, on va apporter un changement. Nous, en amont de ça, on va pouvoir vivre de ce transfert de connaissances.»
Mais déjà, cet agriculteur urbain atypique est heureux de ce qu’il récolte.
«Moi je vis carpe diem. Je ne commence pas à faire des plans sur la comète, ou des plans dans dix ans. J’essaie de bien faire pour ce mois-ci, pour cette année. Évidemment, en gardant en tête la vision moyen long terme. Mais il faut avoir du fun là et faire quelque chose qui te fait plaisir là. Et si ça s’accumule et que ça donne d’autres résultats après, tant mieux! Au moins tu auras vécu chaque année bien heureux.»